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De retour chez lui après son passage dans la maison de Frank Meyer, Pike trouva un message de son ami Elvis Cole, son associé dans une agence d’enquêtes privées. Pike l’écouta en buvant une bouteille d’eau.

« Salut, disait Cole. J’ai eu tout à l’heure la visite d’un inspecteur nommé Terrio, qui m’a posé des questions sur toi et sur un certain Frank Meyer. J’ai eu l’impression qu’il allait à la pêche, mais il m’a quand même dit que ce Meyer avait été assassiné. Rappelle-moi. »

Après avoir effacé le message, Pike rechercha l’adresse de Rahmi sur son ordinateur. Il avait faim ; il avait aussi envie de faire une séance de yoga et de rappeler Cole, mais il devait avant tout rester en mouvement. Le mouvement était synonyme de progrès, et il avait besoin de progrès pour retrouver les assassins de Frank.

L’application Google Maps offrait des fonctionnalités dignes d’un satellite espion. Pike tapa l’adresse de Rahmi et tout Compton lui apparut sur-le-champ, vu de plusieurs centaines de mètres d’altitude. Pike effectua un zoom avant pour resserrer le cadre et passa ensuite en mode Street View, ce qui lui permit de visualiser l’immeuble de Rahmi comme s’il se tenait dans la rue. Sa peinture défraîchie. La pelouse moribonde sur le devant. Une antenne parabolique renversée. L’image de Google avait été prise par une belle journée ensoleillée et pouvait remonter à plusieurs mois, mais elle lui fournirait une bonne base de travail.

Rahmi Johnson habitait dans un immeuble de couleur verte construit sur deux niveaux à deux kilomètres et demi à peu près de l’Artesia Freeway, à Compton. Un immeuble en forme de boîte à chaussures, avec trois appartements en bas, trois en haut, et un toit plat. Rahmi vivait dans l’appartement central du rez-de-chaussée. Tout ce côté-là de la rue était occupé par des maisonnettes et des immeubles du même style, bâtis sur des parcelles tellement étroites que certaines façades étaient orientées sur le côté. C’était le cas de l’immeuble de Rahmi. La quasi-totalité des terrains étaient protégés par des grillages bas, et presque toutes les maisons avaient des barreaux aux fenêtres. Un alignement de locaux commerciaux de plain-pied se dressait le long du trottoir opposé.

Du fait de son orientation latérale, le côté de l’immeuble de Rahmi donnait sur la rue et sa façade avant sur la parcelle voisine. Les habitants y accédaient par un portail grillagé, traversaient la pelouse, puis longeaient la façade jusqu’à leur appartement. Cette disposition empêchait Pike de voir la porte de Rahmi depuis la rue. Il réfléchit au problème et songea que les flics devaient avoir le même.

Pike observait les bâtiments voisins quand son portable sonna. C’était John Chen, il appuya sur la louche verte :

— Oui ?

— On vient de confirmer la présence d’un quatrième flingue, à rapprocher du quatrième type d’empreintes. Trois d’entre eux ont déjà servi pour les meurtres précédents, mais pas le quatrième. Les douilles correspondantes ont été retrouvées dans la chambre de la jeune fille au pair et dans le séjour.

— Combien ?

— Trois. Le quatrième tireur a fait feu une fois sur Frank Meyer, et c’est lui qui a mis les deux bastos à la fille, Ana Markovic. On n’a pas fini l’étude comparative des autres balles et des autres douilles, mais ça, c’est déjà établi. Je me suis dit que ça t’intéresserait.

— Merci.

Pike referma son portable et pensa au quatrième tireur. Qui n’avait pas participé aux expéditions précédentes, mais qui était allé chez Frank. Pike se demanda pourquoi ce quatrième homme s’était joint à la bande. Ses trois membres habituels étaient-ils au courant du passé de Frank ? S’attendaient-ils à plus de résistance ?

Pike chassa ces questions de son esprit et se concentra sur l’ordinateur. Il observa l’immeuble de Rahmi, puis les bâtiments avoisinants et les commerces de l’autre côté de la rue. Il remarqua que les deux trottoirs étaient bordés de véhicules en stationnement, repassa en position vue aérienne et comprit pourquoi. Ni l’immeuble de Rahmi, ni aucun autre n’offrait à ses résidents de places de parking réservées. D’où il s’ensuivait que la Malibu neuve de Rahmi devait être garée sur la voie publique.

Aucun bâtiment du quartier ne dépassait les deux étages, et la majorité n’en possédaient qu’un. Privés de toute possibilité d’observation depuis un endroit surélevé, les agents chargés de la surveillance de Rahmi avaient dû se poster assez près de leur cible. La haute densité de population, le stationnement le long des trottoirs et la nature même de la surveillance mise en place par la SIS impliquaient que les guetteurs étaient très certainement logés dans un des bâtiments voisins. On ne pouvait pas laisser une Crown Vic garée dans cette rue pendant trois semaines sans attirer l’attention. Idem pour les véhicules de dépannage et autres camionnettes de livraison bidon. Après avoir étudié les environs pendant trois quarts d’heure, Pike parvint à la conclusion que les options de surveillance de la SIS étaient restreintes. Il se faisait à présent une idée très claire non seulement de l’endroit où ils devaient avoir installé leurs guetteurs, mais aussi de la manière dont lui-même pourrait accéder à Rahmi sans être vu. Il lui faudrait encore jeter un coup d’œil au quartier de jour et de nuit pour vérifier son hypothèse, mais il savait déjà en gros comment il s’y prendrait.

Pike passa des vêtements de sport, fit quelques étirements pour s’échauffer puis glissa peu à peu vers l’état méditatif que le yoga lui permettait régulièrement d’atteindre. Avec des gestes lents et précis, il travailla en profondeur une série de postures de hatha-yoga. Concentré sur sa respiration, il sentit sa nervosité refluer. Son rythme cardiaque diminua. Quarante-deux battements par minute. Idem pour sa pression artérielle, 10-6. La paix venait avec la certitude, et Pike ne doutait pas.

Quand il eut fini, il émergea de sa transe comme une bulle remontant à la surface d’une mare lisse. Il dîna de riz et de haricots rouges au maïs grillé et à l’aubergine ; il avait préparé lui-même le riz et les haricots, le maïs et l’aubergine venaient d’un restaurant. Après le dîner, il se doucha, se lava, enfila un slip et un tee-shirt propres. Il rappela Cole, mais Cole ne décrocha pas ; il lui laissa un message.

Pike se servit un doigt de scotch dans un verre trapu et éteignit la lumière. Il resta assis sur son canapé, seul dans l’obscurité, à écouter gargouiller l’eau de sa fontaine zen en granit noir. Ce son lui permettait aisément de se transposer dans un monde naturel, peuplé de créatures sauvages. Il sirota son scotch et écouta.

Au bout d’un certain temps, Pike monta se coucher. Son matelas était ferme, mais il l’aimait ainsi. Il s’endormit presque sur-le-champ. Pike s’endormait facilement. Il avait nettement plus de mal à rester endormi.

Ses paupières se soulevèrent deux heures plus tard : Joe Pike était réveillé. Il cligna des yeux dans le noir et comprit qu’il en avait fini avec le sommeil pour cette nuit. Il ne se souvenait d’aucun rêve, mais son tee-shirt était moite de sueur.

Il roula hors du lit, rassembla ses affaires et partit vers Compton dans un paysage scintillant de lumières immobiles.

Règle N°1
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